Thèse Lucile Cornet–Richard

TITRE : Climat scolaire des collèges de Seine-Saint-Denis : enquête et expérimentation pour une aménisation des sols 

Thèse de recherche-création Science Arts Création Recherche (SACRe) – en Convention Industrielle de Formation par la REcherche (CIFRE) avec le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis

Direction de thèse : Emmanuel Mahé chercheur HDR en sciences humaines et Soline Nivet chercheure HDR en architecture. Encadrant design : Patrick Renaud, professeur de design à l’ENSAD et coordinateur du groupe Symbiose à l’Ensadlab

https://www.instagram.com/lucilecornetrichard/

lucile.cornet@ensad.fr

Mots clefs : dessin, climat scolaire, sol, jardinage, paysage, adolescence, institution, milieu, administration 

 

Dans le cadre d’une thèse en recherche-création en CIFRE, nous sommes affiliés au Conseil Départemental de la Seine Saint Denis, entre les Services de la Maîtrise d’Ouvrage des Collèges (SMOC) et des Actions Éducatives (SAE). Dans une période empreinte de trois enjeux majeurs pour cette administration : le déploiement des «cours oasis» dans les collèges, la quête d’un lien plus étroit avec les «usagers», notamment pour penser leur « participation », l' »appropriation » du bâti par les « usagers ».

Nous nous demandons comment, améliorer le climat scolaire des collèges en Seine-Saint-Denis, avec des gestes de ménagement : d’attention, de maintenance et de recomposition, à partir, avec et dans l’architecture –  nécessités par l’état du bâti ? 

Nous visons un climat de soin, autrement dit nous travaillons à l’habitabilité de ce milieu scolaire, à sa désirabilité.« Le climat de soin (clouds of care) correspond à la fois à une méthode et à un territoire, une sorte d’écosystème, une façon de lier le tissu à son tissage, un enseignement tirés des « plis » deleuziens, ou des rhizomes, qui active plusieurs échelles, plusieurs « plans » de régulation. » 

Les « cours oasis » sont depuis 2017 une dynamique notamment développée par la mairie de Paris dans les écoles primaires et maternelles. Il s’agit d’une intrication complexe des éléments suivants : désimperméabilisation des sols, répartition équilibrée des pratiques de l’espace en fonction du genre, amélioration du coefficient de biotope, importance de la gestion de l’eau, possibilité d’y faire classe dehors. (schéma en cours)

Nous émettons l’hypothèse qu’une pratique du design – basée sur l’enquête et  la mise en relation- est pertinente pour considérer et investir la notion de sol (dans toutes ces acceptions) dans l’administration des collèges. En nous appuyant sur Davasse, Henry, Rodriguez (dans leur ouvrage datant de 2016) et Jackson, nous comprenons les sols comme terrain, surface physique visible et support tangible de toute installation humaine, surface indiciaire (Ginzburg, 1980) dont l’exploration (poétique, sensible, technique) nous permettra d’appréhender de manière plus approfondie les dimensions temporelles et spatiales, qui bien que discrètes, façonnent le paysage. Comment améniser (Paquot 2021) les sols du collège – pour permettre et nourrir des pratiques pédagogiques expérientielles, permettre un appartenance à ces lieux et ainsi favoriser un bon climat scolaire ? 

« Les choses les plus épaissent ne s’abordent pas sans subir quelques amenuisement » Francis Ponge : Le sol est une chose épaisse tant physiquement que symboliquement, dont l’investigation, l’exploration sensible, poétique, métaphorique ne peut se faire qu’en l’amenuisant c’est à dire qu’il nous faut « multiplier les points de vue, les échelles et les postures » (en suivant les mots de Nicolas Nova, anthropologue), séparer d’abord « les lignes  d’intérêt » (points de vue, perceptions, perspectives partielles) puis recomposer (restitution). 

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Prendre en compte la perception des adolescent.es qui sont les habitant.es les plus nombreux.ses : nous engage à imaginer une poïétique adolescente. Poïein : faire, fabriquer. La poétique « se proposerait bien moins de résoudre les problèmes que d’en énoncer» Paul Valéry / Nous notons une « injustice épistémique » (Fricker, 2007) qui « souligne le discrédit de la parole et des savoirs de certains groupes discriminés et marginalisés, du fait de représentations collectives dominantes qui limitent leur capacité d’intervention dans le débat public. » 

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Nous opérons un changement de paradigme avec cette recherche-création : nous proposons de comprendre les collèges à l’aune de leurs sols (surface à nettoyer, croûte à désimperméabiliser, épaisseur à cultiver) : soit passer d’un sol foncier à un sol vivant.

Aussi nous dessinons les collèges en coupe. Cela nous permet notamment de faire apparaître les corps de celles et ceux qui habitent et prennent soin de ces établissements. Nous pouvons ainsi prendre en considération leurs gestes dans l’administration des ces collèges.  Notre proposition de ménagement (Paquot, 2021) des collèges de ce territoire est une question complexe (Morin, 1995) qui nécessite des transversalités entre services, des situations d’interprofessionnalité, et d’autres procédures administratives, afin que tous les temps de la vie du bâti soient pe(a)nsés. La coupe préalablement posée nous permet de rendre visible ces intéractions. Ainsi nous n’organisons plus celui-ci en zone mais en moments, en scènes, en situations, en expériences, en usages, en perceptions, en horizons. 

Par conséquent, nous invitons à une considération du collège, puisqu’il est un espace de vie, du quotidien comme un « espace vécu »  tel que décrit par Armand Frémont « vise à l’épanouissement et au bonheur des individus. ».

Par l’attention + expérimentations de celui ci, l’estimer l’apprécier en tant que paysage / émancipateur / « Il est alors possible d’apposer, aux côtés de la proposition d’A. Roger suggérant que le pays devient pays-age par le truchement de l’art, que le pays devient également et peut-être surtout pays-age par l’intervention volontaire des acteurs : le pays serait donc le pays-agi, le pays transformé en projet de territoire et traduisant une perspective d’avenir imaginaire, une utopie. » (p. 53.) (Luginbühl, 2012). Nous souhaitons réenchanter les sols pour permettre aux adolescent.es de se sentir y appartenir, de les épaissir du point de vue de l’imaginaire.

Ces coupes nous montrent / nous imposent aussi d’aller scruter et de prendre soin des espaces « résiduels » des couloirs, seuils, dégagements : zones d’attente et de circulation, de sociabilités et d’affrontements.  Ils n’ont pas, dans le plan masse du collège, dans ces multiples zones programmées et métrages carrés négociés, la même valeur qu’une salle de classe ou qu’une cantine, bien qu’aussi soumis à des injonctions d’économie de surface. Ce sont dans ces espaces intermédiaires, parfois en marge, que sont chiffrées la majeure partie des victimations. La coupe permet de donner à voir le ciel, la météo, la ligne d’horizon nécessaire pour se projeter (Fleury, 2020) – se penser , comprendre le milieu/tissu urbain dans lequel s’inscrit le collège.  Ce paysage est à analyser au présent.

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Cette attention au présent (hic et nunc) s’accompagne d’une valorisation des processus, de ce qui se déroule entre adolescent.es, agent.es de la fonction territoriale (du conseil départemental de la seine saint denis) et nous (doctorante). Dès lors les gestes de ménagement que nous proposons et qui constituent nos dispositifs s’inscrivent dans ce que nomme Mathias Rollot « architecturation ». Cela engage des modes d’actions qui simulent « les six sens (l’ouïe, la vue, l’odorat, le goût, le toucher et le mouvement) avec de subtils ménagements (du verbe ménager qui signifie « prendre soin »), tout en cultivant l’imprévu, la turbulence, la transgression. » (Paquot, 2021).

Méthodologies

Les méthodologies d’auto-ethnographie organisationnelle empruntées à la sociologie, nous permettront d’analyser nos pratiques, postures (Montagnier, 2012) à l’intérieur même du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et avec les adolescent.es. Nous décrirons des phénomènes d’encliquage, affiliation et acculturation réciproque.

L’attention au présent est central dans ce travail de recherche-création (nous nous appuyons donc sur la thèse Pauline Gourlet. Pour le comprendre/le saisir (puisque c’est au regard de celui ci que s’observe/ se comprend l’espace vécu et se déploie les savoirs expérientiels) nous nous appuyons sur la microsociologie et des approche compréhensive et phénoménologique. 

« Le défi est donc de saisir des évolutions, du mouvement, de la transformation en train de se faire » (Monceau, 2013, p. 91)

Terrains 

Nous avons visité les terrains en prêtant attention à leur état, étape de vie, autrement dit en chantier, vétuste, etc > ne pas penser les collèges pas zone, ou esthétique, mais dans une temporalité longue, penser des cycles de vie dans lesquels je nous intervenons. Ces 5 terrains sont des exemples, et nous verrons en quoi ils peuvent être exemplaires d’une démarche à plus grande échelle. Il s’agit donc d’une approche typologique processuelle, développée par l’architecte et historien italien Sergio Muratori, s’affirme comme une méthodologie d’analyse privilégiée pour comprendre les dynamiques de changement et d’évolution des formes urbaines. En s’inscrivant dans une perspective systémique, elle dépasse la simple identification de types architecturaux pour s’intéresser aux interactions complexes entre la forme, l’état du bâti, les relations qu’ils hébergent et les contextes socio-culturels qui les façonnent.

Nous avons sélectionné ces 5 collèges en Seine-Saint-Denis avec des chronotopies (Paquot, 2001) et des états de bâtis bien différents – représentatifs des 130 collèges du département.

  • Collège Oum Kalthoum, Montreuil (état neuf – après rénovation partielle) avec le club « biodiversité, jardin » – 13 élèves volontaires avec une professeure d’anglais, coordinatrice du club, avec l’Ouvrier Professionnel du collège
  • Collège Lavoisier, Pantin (état : en chantier à partir de 2024) , avec 5-7 élèves dits en « décrochage scolaire », avec deux personnels de ménage (ATTEE)
  • Collège Saint Exupéry, Rosny sous bois, (état : bon, désamiantage en 2023) avec 10 élèves volontaires de la classe de 4ème F – option chinois, des Conseillères Principales d’éducation (CPE) et des Assistant.es d’Education (AED)
  • Collège Gustave Courbet, Pierrefitte-sur-Seine,(état : récent, premières usures et dégradations observées) avec 10 élèves vivant à l’internat, avec les Ouvriers Professionnels du collège
  • Collège Travail Langevin, Bagnolet, (état : très vétuste, lancement du concours en 2024) avec la classe d’UPE2A, accompagnée de leur professeur de français

Nos dispositifs, en créant des espaces, s’articulent – émergent de cette manière : relever – enquêter, dé-re-composer, tracer-mettre en relation. 

  • en relevant- enquêtant : Carlo Ginzburg, (dessin outil convivial) Ivan Illich, en commençant « par remarquer » pour suivre le conseil d’Anna Tsing, John Dewey
  • en traçant – mettre en relation : traces (ivan illich)- dessin pour se mettre en relation (fernand deligny), donner à voir – faire attention aux flux (Marie-Haude Caraës)
  • en dé-re-composant : décalage (Gilles Clément), palimpseste (André Corboz) – statut de l’oeuvre/du gestes (fonction auteur – Foucault) – paroles du sachant-apprenant (Dan Peterman)

Dispositifs

Agamben résume ainsi la pensée de Foucault sur les dispositifs : 

« 1) Il s’agit d’un ensemble hétérogène qui inclut virtuellement chaque chose, qu’elle soit linguistique ou non : discours, institutions, édifices, lois, mesures de police, propositions philosophiques. Le dispositif pris en lui-même est le réseau qui s’établit entre ces éléments. 2) Le dispositif a toujours une fonction stratégique concrète et s’inscrit toujours dans une relation de pouvoir.

3) Comme tel, il résulte du croisement des relations de pouvoir et des relations de savoir. »

C’est ainsi que l’on regarde les dispositifs en place ( la forme scolaire notamment), mais à partir de la pédagogie Institutionnelle qui donne un autre sens au terme, non plus envisagé sous l’angle des rapports de pouvoir mais comme les conditions institutionnelles de l’émancipation des individus dans un groupe, par exemple dans une classe Freinet. – que nous pensons les dispositifs que nous créons.

S’intéresser au collège depuis le sol, engage des questions de propriété, de responsabilité, auxquelles les crises climatiques et migratoires actuelles, ajoutent/imposent celles de ménagement, condensées au collège spécifiquement dans les cours, les foyers et les internats : sols – surfaces communes pour les adolescent•es. Nous investissons par nos expérimentations ces différents espaces en les mettant en lien, en réseaux.

Armand Frémont, géographe, suggère de d’interchanger le terme de production d’espace avec création d’espace, et incite alors à ne plus parler d’aménagement mais d‘art de l’espace. Il s’agit dans ces différents collèges-terrains plutôt qu’aménager, de ménager les lieux, les rendre maison, parents, paysage familier-hérité, les rendre hôpitaux, hospitaliers, soignants.

Les dispositifs – d’attention, d’enchantement et d’engagement- mis en place dans nos différents collèges-terrains, en mobilisant / avec les adolescent•es sur des temps scolaires ou non, contribuent à prendre soin du climat scolaire. Par ces gestes de ménagement, il s’agit de faire durer le lieu (nous pensons la persistance du dispositif) et de développer un sentiment d’appartenance à celui-ci : s’y inscrire dans la continuité. Ceci est : »(…) nécessaires aux relations  qui construisent et qui réparent : l’éducation, le soin et tout ce qui permet à un enfant ou un être fragilisé d’élaborer ou de restaurer une confiance en soi, en ses facultés, nécessitent un temps continu, irréductible. On ne peut plus continuer à fragmenter et à accélérer sans cesse nos vies. Il y a des relations fondatrices qui ne supportent pas la discontinuité et la multiplication des ruptures. »

Quelques références

  • Agathe Chiron, designer
  • Chantal Dugave, artiste – architecte : sa thèse L’école du faire : enjeux d’une pratique d’artiste architecte
  • Charlotte Perriand, designer – architecte
  • Dan Peterman, artiste
  • Ecole de la biodiversité, Boulogne Billancourt, Agence Chartier Dalix
  • Le Chêne pointu – chantier de réparation habité, à Clichy sous bois – Agence Sol
  • Le domaine du possible, Arles
  • Marie Preston, artiste-chercheuse
  • Mierle Laderman Ukeles, artiste

Bibliographie

  • Besse, J.M. (2018). La nécessité du paysage, Éditions parenthèses
  • Denis, J., & Pontille, D., (2023). Le soin des choses : politique de la maintenance, Editions La découverte
  • Foucault, M. «  Le jeu de Michel Foucault » (1977), Dits et écrits, tome II, Paris, Gallimard, 1994, p. 299.
  • Gourlet, P. (2020). Vers une approche développementale du design. Sciences du Design, 11, 124-133. https://doi.org/10.3917/sdd.011.0124
  • Hallauer, E. (2017) Du vernaculaire à la déprise d’oeuvre : Urbanisme, architecture, design – Thèse de doctorat
  • Henry, P. (2023). Des tracés aux traces : pour un urbanisme des sols. Apogée.
  • Illich, I. (1973). La convivialité. Éditions du Seuil.
  • Ouassak, F. (2023). Pour une écologie pirate : et nous serons libres. Editions La découverte
  • Ost, F. (1997) Déployer le temps, Les conditions de possibilité du temps social
  • Pierron, J. (2003). Sols et civilisations: Une approche poétique du territoire. Études, 398, 333-345. https://doi-org.portail.psl.eu/10.3917/etu.983.0333
  • Preston, M. (2008) « Du divers à la relation : formes d’expérience » – Thèse de doctorat
  • Morin, É., Therriault, G., & Bader, B. (s. d.). Le développement du pouvoir agir, l’agentivité et le sentiment d’efficacité personnelle des jeunes face aux problématiques sociales et environnementales : apports conceptuels pour un agir. Éducation et socialisation
  • Rollot, M. (2018). Les territoires du vivant : un manifeste biorégionaliste (Le monde qui vient). Wildproject.
  • Rollot, M., & Beauté, J. (2021). Fabuler l’invisible, Amplitudes, n°4, p. 24-38
  • Sinaï, A. (2023) Habiter en biorégion, Éditions du Seuil, Collection Anthropocène
  • Ukeles, M-L. (1969) Manifesto ! maintenance art, proposal for an exhibition. « care »